Analyse de Spectacle – Les Symboles dans The Four Seasons Restaurant, Romeo Castellucci

Metteur en scène de The Four Seasons Restaurant et plasticien.

Metteur en scène de The Four Seasons Restaurant et plasticien.

Si la pièce s’appelle « The Four Seasons Restaurant », c’est pour faire écho à l’histoire de Mark Rothko, peintre américain. Celui-ci avait pour habitude de faire exposer ses toiles à quelques centimètres du sol pour que le spectateur puisse entrer dedans. Castellucci voyait ses toiles comme des portes. Des portes vers un inconnu.

Peintre qui a inspiré Castellucci et qui voyait la beauté dans l'art grec antique.

Peintre qui a inspiré Castellucci et qui voyait la beauté dans l’art grec antique.

Le Four Seasons Restaurant passa commande auprès de Rothko pour que celui-ci face une série de toile pour la décoration du-dit restaurant. Il accepta et reçu une grosse somme d’argent. Mais une fois qu’il eu tout peint, il refusa de donner ses toiles, ayant compris qu’elles ne seraient que pure décoration dans ce qu’il appelait « un temple de la consommation ». Des poursuites furent engagés et Rothko dû rembourser l’intégralité de l’argent, au nom de ses principes et de sa volonté artistique. Malheureusement, il ne pu le supporter et termina par se suicider quelques années après. On voit, à travers cette histoire, à quel point la vérité de l’artiste, cette pulsion créatrice, aussi forte qu’elle soit, ne peut être forcément comprise par la population. Et l’incompréhension entraîne le rejet. Rejet social dont a été victime Rothko qui y mit fin en retournant au silence. En s’ôtant la vie, ne pouvant plus vivre dans une société le considérant comme coupable de son esthétique. C’est cette histoire, ce même schéma qui se répéta plusieurs fois tout au long de l’histoire qu’essaya d’illustrer Castellucci avec sa pièce. En l’adaptant à de nombreux exemples, pour illustrer ce rejet social et cette destruction qui semble inévitable, mais ses exemples sont noués les uns aux autres, ce qui rend leur interprétation difficile.

Restaurant qui donne le nom de la pièce.

Restaurant qui donne le nom de la pièce.

Philosophe Argrégentin.

Philosophe Argrégentin.

La première situation, c’est celle d’Empédocle. Elle se trouve dans le langage des comédiennes et dans les enregistrement. Empédocle est un philosophe Argrégentin (de Sicile), celui-ci est connu pour avoir des idées très tranchées et marquées concernant les éléments entre autre. Mais toutes les idées qu’il portait était sûrement trop lourde pour lui. Ainsi, il fini par être banni (suite à l’assassinat du tyran, il refuse le pouvoir à cause de ses valeurs) et sa fascination pour le feu le poussa, entre autre, à se jeter dans l’Etna.

Volcan Sicilien dans lequel s'est jeté Empédocle.

Volcan Sicilien dans lequel s’est jeté Empédocle.

Dans la pièce, les choses ne sont pas si claires que ça. Au tout début, dix femmes entrent successivement sur le plateau et se coupent la langue. Se couper la langue, c’est rejeter son individualité qui se trouve dans le langage, sachant que leur vêtements étaient à quelques détails prêt, identiques. Se couper la langue c’est aussi s’empêcher de parler. Et surtout, on coupait la langue des athées condamnés à mort pour les empêcher de parler dans l’au-delà. A travers ce rituel collectif, on a l’image de la perte du langage, image qui sera illustré à plusieurs reprises.

Les comédiennes se coupent la langue.

Les comédiennes se coupent la langue.

De plus, dans cette pièce, tout est désincarné. Il n’y a que des comédiennes, mais elles jouent des rôles d’hommes, de peuple, de vieillard. Cette unité, est symbolisé dans leur costume et la seule distinction se trouve dans la couronne de laurier. Celle-ci représente Empédocle et il s’agit d’un de ses véritables attributs : Favorinius d’Arles disait : « Il s’habillait de vêtements de pourpre avec une ceinture d’or, des souliers de bronze et une couronne delphique. Il portait des cheveux longs, se faisait suivre par des esclaves, et gardait toujours la même gravité de visage. Quiconque le rencontrait croyait croiser un roi ». C’est donc cette couronne qui désigne Empédocle. Et elle passe de tête en tête ce qui participe au flou qui entoure ce personnage. Empédocle n’est pas joué par une comédienne. Il est cette couronne. Et on voit à travers son passage de tête en tête qu’une vérité telle que celle d’Empédocle peut-être portée par n’importe qui.

Cette couronne symbolise Empédocle.

Cette couronne symbolise Empédocle.

De plus, juste après l’arrivée du philosophe, une Agrégentine mange de la crème chantilly et s’étouffe avant d’être recouverte par un drap bleu foncé. Cette fausse mort, pourrait-être en réalité une crise d’épilepsie et dans l’antiquité, la crise d’épilepsie était vu comme un mal démoniaque : une sorte de possession dont on avait peur. Mais le bleu foncé représente la royauté et cette chantilly pourrait être du poison. Ce qui symboliserait la mort du tyran, mais elle se relève ce qui sème le trouble, seulement, vu que tout est désincarné dans cette pièce, cette interprétation reste cohérente. Enfin, un chien passe sur le plateau et mange les langues. Dans la Bible, il est dit que les être impurs seront condamnés à pourrir en dehors du village et à être manger par les chiens. On a ici plusieurs images d’impureté (l’épilepsie/empoisonnement, les langues etc.) qui feront sens par la suite.

La mort à la chantilly et le drap bleu foncé.

La mort à la chantilly et le drap bleu foncé.

Le drapeau des confédérés.

Le drapeau des confédérés.

Le drapeau des confédérés et l'arme à l'arrière plan.

Le drapeau des confédérés et l’arme à l’arrière plan.

Puis, les dix comédiennes enfilent un brassard rouge et s »arment. Elle étendent un drapeau sudiste de la guerre de sécession, guerre civile des Etats-Unis concernant l’esclavage : les confédérés au Sud, pour l’esclavage, contre l’union au Nord, contre l’esclavage dirigé par Lincoln. Nous nous retrouvons ici face à un autre cas de rejet et de destruction. Castellucci montre les choses mais ne prend pas parti : cet exemple en est la preuve. L’esclavage étant aujourd’hui aboli, on a donc une pensée qui est dans l’« erreur » mais qui a l’époque pensait détenir la vérité. Ce rejet du Nord contre le Sud se termine par la défaite du Sud. On a ici un rejet et une destruction à nouveau. Le brassard rouge symbolise l’unité de ce peuple.

Un brassard rouge est enfilé par les comédiennes.

Un brassard rouge est enfilé par les comédiennes.

Mais le texte reste celui d’Empédocle, il n’y a de changement de situation que dans l’image. Cette dissociassions rend le tout encore plus obscure. De plus, les comédiennes portent le costume des Amish, communauté juive des États-Unis et le lien se fait ainsi. Car par analogie, on peut associer cette situation à Jésus : rejeté par son peuple, il est condamné à mort. Car sa vérité dérangeait. Et c’est la communauté juive qui l’a condamné à mort. C’est ainsi que se fait le lien entre tous ces lieux et contextes différents.

Costume traditionnel Amish.

Costume traditionnel Amish.

Le Serment des Horaces - Jacques Louis David

Le Serment des Horaces – Jacques Louis David

D’ailleurs, à un moment, trois femmes tendent le bras vers une arme : cette image est l’équivalence du Serment des Horaces : la division d’un peuple (Romains et Sabins étaient liés par l’histoire, mais ils étaient en guerre perpétuelle et c’est suite à ce serment que Rome gagne, puisque les Horcace battent les trois frères Sabins).

Dans la guerre de Sécession on a aussi de nouveau ce motif de disparition du langage, puisque la guerre est armée, on ne

Une illustration de Midas.

Une illustration de Midas.

parle plus et on rejette l’humanité pour plonger dans une bestialité et à une guerre de force. Intervient alors le coup de feu : c’est la mise à mort du langage. La comédienne qui tire bombe ensuite l’arme pour la rendre dorée et sa main la devient aussi par la même occasion. On pourrait penser à Midas, mais c’est l’arme qui est dorée, puis la main. Or, si c’était Midas, la main serait dorée avant l’arme. (Midas avait demandé à Dionysos de lui offrir le pouvoir de transformait tout ce qu’il touchait en or.) Surtout que cette main semble plus être celle de Dieu : le droit de vie et de mort est normalement le droit de Dieu. Celui qui tue vole ce pouvoir. Puis l’arme dorée est posée devant le laurier symbolisant Empédocle : on a ici l’image du suicide. De plus, les comédiennes ne parlent plus, à la fin, il y a seulement l’enregistrement des paroles. C’est ce langage qui disparaît. Et qui reste dans le souvenir.

Naissance ou retour à la primitivité ?

Naissance ou retour à la primitivité ?

S’en suis alors l’image étonnante des femmes qui passent les unes entre les autres et ressortent, avant de se mettre nues.

Les comédiennes se dénudent.

Les comédiennes se dénudent.

On pourrait penser à une naissance, d’un passage d’un état à un autre. Mais il semble plus plausible que l’on ai là un retour à la primitivité : elles retirent leur vêtement et sont touchées par la main de Dieu. Elles ne disent rien, le langage à disparu, le vêtement aussi. Le monde revient à un état primitif. En effet, en rejetant le langage, on tue la parole. On s’enferme dans une pensée ignorante et archaïque. On revient à la primitivité.

Le cercle.

Le cercle.

Il y a aussi une grosse thématique du cercle : au début, les femmes après s’être coupé la langue, forment un cercle : une communauté. Puis l’une d’elle pose un cerceau à Terre et boit dedans : l’eau, c’est la vie. Et enfin, lorsque toutes se dénudent, au sol, leurs vêtements restent, disposé en cercle alors qu’aucune comédienne est sur le plateau : le souvenir de leur communauté. L’Ether est également évoqué : il s’agit d’un purgatoire dans lequel vont les âmes. Entre le ciel et la Terre. C’est ici que le lien avec le Trou Noir se fait.

Le cerceau représente l'eau.

Le cerceau représente l’eau.

En effet, la pièce commence avec le son brut d’un trou noir. Le Trou Noir qui est le passage d’un endroit à un autre. Mais qui est inconnu. Comme les peintures de Rothko. Et comme le passage de la vie à la mort. On a ensuite différents phénomènes scéniques. Empédocle s’est

On découvre un cheval mort.

On découvre un cheval mort.

suicidé. Le rideau recule et montre un cheval mort : le cheval, c’est le symbole de passeur des morts, le cheval est chargé de porter les âmes des défunts entre la Terre et le ciel. Si le cheval est mort, le guide spirituel l’est (Empédocle, Jésus), du coup les âmes sont perdu dans l’Ether. Dans le noir. A la dérive. Le plateau se sépare en deux. Entre le fond noir et le fond blanc, cette séparation vers le haut peut faire écho à la peinture de Rothko qui est dans la division dans la hauteur de deux couleur et à la profondeur ainsi crée. Castellucci voit la peinture de Rothko

Peinture de Rothko

Peinture de Rothko

comme des portes, et dans ce spectacle, la porte mène à la destruction : le rideau se ferme sur un lied dont le texte est de Schubert et dont la musique et celle de la Mort d’Isolde dans l’opéra de Wagner. La mort d’Isolde, est parfaitement cohérente avec celle d’Empédocle. Puisque Tristan est amoureux d’elle : il perd le « sens » de sa vie. Commence alors une suite d’explosions blanches. C’est la destruction à l’état pur. Le son est très fort, il mène à l’anéantissement total. Il est le résultat des erreurs des hommes. S’en suis alors un tourbillon qu’on ne peut discerner au début. On peut voir des

Le tourbillon.

Le tourbillon.

cendres (rapport à l’Etna), de l’eau. Le déluge (Dieu anéantis les hommes à cause de leur pêchés, pour refaire une Terre avec des hommes meilleurs par l’intermédiaire de Noé.) On voit alors un drapeau s’agiter. Et là encore on peut voir une similitude avec Le radeau de la Méduse : c’est un tableau de naufrage, et la société montrée à la dérive est elle aussi au naufrage et court à sa perte.

Le drapeau rappelant le Radeau de la Méduse.

Le drapeau rappelant le Radeau de la Méduse.

Le Radeau de la Méduse - Théodore Géricault

Le Radeau de la Méduse – Théodore Géricault

Visage de Marie.

Visage de Marie.

Puis tout se calme, et on voit de nouveau ces femmes, nues, tourné vers le portrait d’une femme qui pourrait être l’image de Marie. Mère de Jésus. Elles ne sont plus en cercle, et elles ne sont pas habillé, c’est un recommencement. Un retour à la primitivité, puisque les hommes ont anéantis « leurs guides ». Et à travers ce retour à l’humanité, on peut voir un nouvel espoir.

Auteur du livre "La mort d'Empédocle"

Auteur du livre « La mort d’Empédocle »

Pour cette pièce Castellucci s’est inspiré du livre d’Hölderlin La mort d’Empédocle. Et là encore un autre fait est troublant. Hölderlin a réécrit trois fois ce livre sans jamais parvenir à l’achever. Il est connu pour aller très loin dans sa philosophie. Et surtout, avant sa mort il est dans un état d’égarement complet, dont il mourra après une longue agonie en 1843.

Orange and Yellow - Mark Rothko

Orange and Yellow – Mark Rothko

Ainsi, on voit que dans cette pièce, malgré la volonté de Castellucci de faire vivre une expérience au spectateur, (ce qu’il fait avec les lumières, le son très fort et les images impressionnantes), rien n’est gratuit et tout semble se faire sens. Dans cette pièce on a un leitmotiv, celui de l’incompréhension, du rejet social (Empédocle est banni, la guerre éclate contre les confédérés et l’union, Jésus est condamné à mort, procès contre Rothko lors duquel il est condamné) et de la destruction

Le Voile Noir du Pasteur, un autre spectacle de Castellucci.

Le Voile Noir du Pasteur, un autre spectacle de Castellucci.

(le suicide d’Empédocle et Rothko, la mise à mort de Jésus, et la défaite des confédérés). Le tout à cause d’un idéal, d’une pensée ou d’une esthétique très forte. Mais cette destruction fait écho à l’image que Castellucci se fait de la peinture de Rothko : une porte vers un ailleurs. La mort est un passage vers l’inconnu, comme le trou noir qui semble être l’exemple concret de cette image, par analogie. Mais le motif de l’inconnu est aussi une chose qui revient dans l’oeuvre de Castellucci en elle même. The four Seasons Restaurant est la troisième pièce d’un cycle composé Du voile noir du Pasteur (dans lequel l’inconnu c’est ce que cache se voile) et Sur le concept du visage du fils de Dieu (où l’inconnu c’est la volonté de Dieu). Dans The Four Seasons Restaurant, l’inconnu c’est ce trou noir. Et la mort. L’autre idée sous laquelle on peut rassembler ces trois pièces, c’est aussi l’image du rejet et de la solitude : le rejet de l’artiste ou de la personne de pensée (Rothko, Empédocle etc.), la volonté de cacher son visage et donc le rejet des autres et la solitude et enfin la solitude du père et de son fils, livré à la fatalité. L’image de la religion est donc très marquée elle aussi chez Castellucci.

Sur le concept du visage du fils de Dieu, autre spectacle de Castellucci.

Sur le concept du visage du fils de Dieu, autre spectacle de Castellucci.